Mystère de Jeanne d’Arc n°1 : quel était le véritable âge de la Pucelle ?

Jeanne d’Arc n’est pas une sainte comme les autres. Hier comme aujourd’hui, la libératrice d’Orléans unit autant qu’elle divise. Si elle est l’un des personnages historiques les mieux documentés du Moyen Âge, elle en demeure également l’un des plus mystérieux. Naissance, reconnaissance du roi ou rôle militaire, nous nous attacherons, dans cette série d’articles qui lui sont dédiés, à examiner ces passionnantes questions de manière dépassionnée.

 

Quel âge avait Jeanne d’Arc ? 17 ans, ou un peu plus ? Eh bien, figurez-vous qu’historiquement, cette question est loin d’être tranchée.

Officiellement, la Pucelle est née à Domrémy dans la nuit du 6 janvier 1412, jour de la fête des rois, autrement dit l’Epiphanie. Ce qui fait d’elle une jeune femme de 17 ans lorsque, en 1429, elle fait son entrée dans l’histoire de France et rencontre le roi Charles VII au château de Chinon. Mais, en réalité, nul ne peut l’affirmer avec certitude. La raison en est qu’à l’époque, la commune de Domrémy ne possédait pas de registre paroissial de baptêmes. On ne peut donc s’en tenir qu’à des témoignages, le plus souvent indirects.

Or force est de constater, ici, que plusieurs versions s’affrontent.

De 1407 à 1414 : une marge d’erreur historique de 7 ans

 

L’enfance de Jeanne d’Arc est à peu près connue : mais quand commence-t-elle ?

Commençons par l’hypothèse la plus couramment admise, celle de sa naissance le 6 janvier 1412. Elle tire son origine d’une lettre du chevalier Perceval de Boulainvilliers, chambellan de Charles VII, adressée au « très illustre et magnifique prince seigneur, Jean Ange-Marie, duc de Milan », en date du 21 juin 1429. Si le chambellan est le seul à évoquer la date du 6 janvier, l’année 1412 est confirmée par d’autres chroniqueurs de l’époque, tel le fameux Bourgeois de Paris. Mais aussi, et surtout, par Jeanne elle-même. Lors de son procès, elle déclara être âgée de 19 ans. Néanmoins, elle ne semble avoir de cet âge qu’une idée approximative, répondant à la question qui lui est posée de la manière suivante : « Comme il me semble, à peu près dix-neuf ans ». Aussi, le doute subsiste. On sait d’ailleurs que les fameuses minutes de son procès ont été révisées par son principal accusateur, l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon, et qu’une grande partie d’entre elles a disparu. Dès lors, ces déclarations, pour officielles qu’elles soient, ne constituent pas une preuve absolue.

D’autres contemporains, tel le greffier de la Rochelle, l’auteur du célèbre croquis de Jeanne d’Arc, affirment que Jeanne est née en 1413. Quand pour d’autres, ce serait en l’année 1414, faisant ainsi de la Pucelle une adolescente de seulement 15 ans lorsqu’elle accomplit l’exploit de délivrer Orléans. Mais les années 1411 et 1410 sont également mentionnées par d’autres chroniqueurs comme Perceval de Cagny, un contemporain de la Pucelle et serviteur du duc d’Alençon, l’un de ses plus illustres compagnons d’armes. Même l’historienne Colette Beaune admet que « 1412 est l’année la plus généralement retenue, mais 1411 et 1410 sont possibles ».

Mais les différences de dates ne s’arrêtent pas là. Certains vont jusqu’à affirmer que Jeanne d’Arc serait née en 1408, voire en 1407. C’est d’ailleurs ce dont croit se souvenir Hauviette, l’amie préférée de Jeanne. Lors du procès en nullité de 1456, la jeune fille déclara ainsi « avoir connu dès sa jeunesse Jeanne dite la Pucelle, qui est née de Jacques d’Arc et Isabet mariés, honnêtes laboureurs et bons catholiques, de bonne renommée ; et le sait, car souvent elle s’est trouvée et a dormi amicalement dans la maison de son père ». Celle qui s’exprime ici est une intime de la famille. Sa parole n’a donc pas moins de valeur que celle de Boulainvilliers. Et ce d’autant plus que son témoignage est corroboré par un certain Giovanni Sabadino deglie Arienti, qui, « d’après divers renseignements, notamment ceux fournis par son compatriote Fileo Trovato, habitant près de Reims », écrit en 1431 que Jeanne est morte à 24 ans, faisant par là-même remonter sa naissance à 1407.

Pour résumer, il est probable que la Pucelle soit née en l’an de grâce 1412. Pour autant, les hypothèses la faisant naître plus tôt ne peuvent pas être écartées, notamment en 1407. Or c’est précisément l’hypothèse que privilégient les historiens dits « bâtardisants », qui voient en la Pucelle la demi-sœur du roi Charles VII.

Pour y voir plus clair, tâchons de nous souvenir des événements qui agitèrent le royaume de France en cette fameuse année.

1407, l’année de la scission entre Armagnacs et Bourguignons

23 novembre 1407, l’assassinat du duc d’Orléans : un acte lourd de conséquences pour le royaume de France.

C’est alors le roi Charles VI qui est assis sur le trône. Mais il est victime d’une maladie chronique aussi étrange que grave qui le prive de sa raison de manière intermittente. Les périodes de rémission succèdent ainsi aux crises de folie, durant lesquelles il refuse de se laver ou de se raser, prétend s’appeler Georges, se croit fait en verre, allant parfois jusqu’à vouloir s’en prendre à ses gardes ou à ses proches. Raison pour laquelle roi et reine font ménage à part, chacun vivant en son propre « hôtel », c’est-à-dire son palais, à l’intérieur de Paris.

Lorsque le roi est en crise, il y a donc vacance du pouvoir. Légalement, c’est alors à la reine Isabelle de Bavière qu’il revient d’exercer les fonctions de régente. Mais celle-ci préfère en déléguer l’exercice au duc Louis d’Orléans, frère unique du roi, prince cultivé, ambitieux, politique, et qui n’est autre que son amant.

Car depuis quelque temps, déjà, la reine de France trompe impunément son royal époux.

Or fin 1407, Isabeau met un enfant au monde. Il s’agit d’un certain « Philippe », qui malheureusement mourra dans les heures qui suivirent sa naissance. Et qui retrouve-t-on pour consoler la reine, en cette nuit du 23 novembre ? Le duc Louis d’Orléans. Admettez que sa présence a quelque chose de déconcertant, même pour un proche. Et ce d’autant plus qu’à ce moment-là, le roi Charles VI n’étant pas malade, c’est lui, et non son frère, qui devrait se trouver au chevet de son épouse.

Toujours est-il qu’au bout de quelques heures, Louis doit soudainement quitter Isabelle. Son frère Charles, justement, dont l’hôtel Saint-Pol se situe à quelques rues de là, demande à le voir. Un trajet fort court, mais qui ne s’en révélera pas moins fatal au prince. Une fois arrivé à la hauteur de la rue Vieille-du-Temple, Louis fait face à un groupe d’assassins solidement armés qui n’ont d’autre intention que de le mettre à mort.

Il s’agit là d’un assassinat politique ordonné par son cousin, le duc de Bourgogne Jean Sans Peur.

Pour le royaume de France, les répercussions seront immenses. Elles se feront ressentir pendant plus de trente ans, divisant le royaume en deux camps ennemis avec d’un côté les Armagnacs, c’est-à-dire les partisans du duc d’Orléans, et de l’autre les Bourguignons, qui s’allieront quelques années plus tard aux Anglais.

Charles VII, un problème de légitimité

En faisant (re)sacrer le roi, Jeanne d’Arc résoud le problème de la légitimité de Charles VII

C’est donc dans ce contexte historique particulièrement sombre et chaotique que la Pucelle survient. Ce qui permet aux « bâtardisants » de développer la thèse suivante : le dernier-né d’Isabelle de Bavière enterré sous le nom de Philippe n’était pas un garçon. Il s’agissait en réalité d’une petite fille, fruit des amours interdits entre la reine de France et Louis d’Orléans. Dans les jours suivants la mort de son père, cette « Jeanne » aurait été transportée pour sa sûreté jusqu’au Barrois et confié aux bons soins de la famille d’Arc. Il s’agirait donc d’une princesse royale et non d’une paysanne, demi-sœur du roi Charles VII, qui l’aurait reconnu à Chinon et fait sacrer à Reims avant de brûler sur le bûcher. Certains partisans de cette thèse soutiennent en outre que Jeanne ne serait pas morte en 1431, mais aurait survécu sous le nom d’une certaine Jeanne des Armoises. Cette école, cumulable ou non avec celles des « bâtardisants », est celle des « survivalistes ».

Pour incroyable qu’elle puisse paraître, cette thèse royale est-elle si absurde ?

Il est en tout cas plusieurs historiens et écrivains pour l’avoir l’ont soutenue, tels que Pierre Caze, Jean Jacoby, Gérard de Pesme, président de l’Académie d’histoire, Bernard-Jean Daulon, descendant direct de l’écuyer de Jeanne d’Arc, Edouard Schneider, écrivain catholique affirmant avoir trouvé la preuve formelle des origines royales de la Pucelle dans les archives du Vatican, Jean Grimod, Marcel Gay et Robert Sensig ou encore Florence Maquet. On le voit, ce ne sont pas seulement quelques auteurs isolés, mais une véritable école de pensée.

Cette thèse, bien entendu, souffre certaines faiblesses. On pourra lui reprocher, entre autres choses, de ne pas précisément établir le scénario de la substitution d’enfant, de même que la manière dont la petite Jeanne aura été transportée jusqu’à Domrémy.

Il n’en demeure pas moins que l’infidélité de la reine Isabelle de Bavière constitue l’une des clefs de compréhension de cette période. Car c’est bien le comportement personnel de sa mère qui sèmera le trouble dans l’esprit de Charles VII et le fera douter de sa légitimité, doute qui ne fera que grandir avec la signature du traité de Troyes et le reniement dont il fera l’objet par sa propre mère. Et c’est bien l’un des plus grands mérites de la Pucelle que d’avoir réussi à convaincre Charles de ce qu’il était bien « fils de roi ».

En guise de conclusion, remarquons ainsi que :

  • La présence de Louis d’Orléans dans les appartements de la reine dans la nuit du 23 novembre 1407, alors que celle-ci venait d’accoucher, peut s’expliquer par sa conviction que l’enfant qu’elle avait mis au monde était bien le sien.
  • Si tel était le cas, l’existence d’un tel bâtard était problématique. Qu’un roi ou prince ait des enfants naturels a toujours été toléré par les rois de France. Ainsi, par exemple, du fameux Dunois, le Bâtard d’Orléans, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, qui fut élevé à la cour d’Orléans alors qu’il était le fruit des amours de son père Louis d’Orléans avec sa maîtresse Mariette d’Enghien. Idem pour Henri IV ou Louis XIV. Mais il en allait tout autrement lorsque c’était une femme qui portait l’enfant de son amant. Dans ce cas, nulle question de tolérance. Pour qui voudrait s’en convaincre, il suffit de se souvenir du sort réservé par Philippe le Bel aux épouses soupçonnées d’avoir trompé ses fils. Pour toutes ces raisons, il n’est pas absurde de considérer que l’existence de la princesse Jeanne ait dû être dissimulée.
  • On sait très peu de choses des circonstances exactes de la mort du dernier-né d’Isabelle de Bavière.

Si Jeanne n’était pas née en 1412 mais en 1407, comme le soutenait sa meilleure amie, son ascendance royale deviendrait possible. Il est d’ailleurs plus réaliste qu’une jeune femme de 22 ans, et non de 17 ans, fasse preuve de telles qualités militaires et d’autant de répartie dans les réponses qu’elle donnera à ses juges.

Ce qui est certain, en tous les cas, c’est qu’en la surnommant la « Putain des Armagnacs », les ennemis de la Pucelle l’associèrent dès l’origine au parti des Orléans, qui se fondait alors avec celui de Charles VII.

 Xavier Leloup

Les Trois Pouvoirs 1 : Le prince meurtrier, Xavier Leloup, Éditions La Ravinière, 21 €.