Pour le roman historique

           

Les Trois Mousquetaires, Notre-Dame de Paris, Les Rois Maudits… autant d’immenses succès, autant de romans historiques. Et pourtant, le genre n’a pas toujours bonne presse. Il semblerait même devenu, ces temps-ci, le parent pauvre de la littérature française. Une gageure, au vu de l’appétit du public pour les dessous de l’histoire et le succès planétaire des séries historiques.

La France ne manque pas de livres d’histoire. Qu’il s’agisse d’ouvrages scientifiques, de biographies ou encore de manuels scolaires, la production française se distingue par son abondance et sa qualité, à l’image du lien si particulier que les Français entretiennent avec leur passé. Sauf que ces ouvrages s’adressent à un public déjà conquis. D’un certain âge le plus souvent, et qui dispose déjà d’un solide bagage culturel. Rien de tel avec le roman historique. Celui-ci vise les lecteurs de tous bords, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, qu’ils soient profanes ou initiés.

Le genre a en effet ceci de merveilleux qu’il se met à la portée de tous en présentant le passé sous l’angle des passions humaines. « L’histoire est un roman qui a été », disaient ainsi les frères Goncourt. Le roman historique, c’est donc l’histoire par les sens et les émotions, c’est l’histoire racontée du point de vue de ceux qui la vivent et la font. C’est aussi une ambiance. Vous voulez revivre les Croisades ? Alors lisez Le Talisman de Walter Scott. Dès ses premières pages, vous sentirez brûler sur votre peau le soleil torride de Syrie et resplendir au loin, entre quelques roseaux, les eaux du Jourdain se déversant dans la mer Morte.  Vous voulez comprendre ce que représentait un tournoi au XIe siècle ? Alors relisez le chevaleresque Ivanhoé et c’est comme si, d’un coup, vous montiez vous-même à cheval pour vous élancer dans la lice lance à la main. Vous voulez enfin mieux connaître Louis XI, ce roi qui, selon la légende, enfermait ses ennemis dans des cages de fer ? Alors plongez-vous de ce pas dans Quentin Durward. Dans cet autre roman de Walter Scott, « l’universelle aragne » se montre tout à la fois rusé, superstitieux, machiavélique, et surtout, terriblement spirituel.

Le roman historique rend l’histoire palpable

Ce faisant, le roman historique constitue un formidable outil de transmission aux jeunes générations. Un élève a du mal à se représenter la haine entre protestants et catholiques durant les guerres de religion ? Qu’il ouvre La reine Margot. Il n’a jamais entendu parler de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons ? Qu’il lise Les Trois Pouvoirs. L’œuvre politique du cardinal de Richelieu lui paraît-elle un peu énigmatique, pour ne pas dire, absconse ? Parlez-lui alors de quatre hommes liés par une amitié indéfectible, de leurs amours, de leur caractère tapageur, de leur envie de se battre pour leur roi, et je vous garantis qu’en suivant les aventures de nos fameux mousquetaires, ils en connaîtront bientôt davantage que vous-même sur le siège de la Rochelle ou les relations orageuses entre Louis XIII et Richelieu. Car au fond, rien de tel qu’un roman pour retranscrire un climat, une atmosphère, un certain état d’esprit ; pour rendre une époque palpable, concrète, et pour ainsi dire, tangible. Bien mieux qu’aucun cours magistral, le roman historique permet à chacun de se bâtir un imaginaire. « Mieux vaut l’histoire écrite par les romanciers que l’histoire écrite par les historiens, avait ainsi coutume de dire Alexandre Dumas. D’abord parce qu’elle est plus vraie, ensuite parce qu’elle est plus amusante. »

Le roman historique, source d’inspiration inépuisable pour les films et les séries télé

 

Le monde paraît aujourd’hui vivre au rythme des épisodes de séries télévisées, autant de rendez-vous que chaque soir, à la sortie du travail, nous avons pris pour habitude de regarder sur notre petit (ou grand) écran. Or, que constate-t-on ? D’abord que le fameux concept de feuilleton était déjà le moyen auquel Dumas recourait, il y a presque 200 ans, pour tenir ses lecteurs en haleine. Ensuite que certains des plus grands succès des Netflix, HBO et autres studios Canal ne sont autres… que des séries historiques. Ainsi de Vikings, qui se déroule dans la Scandinavie du VIIIe siècle et a conquis des dizaines de millions de spectateurs, ou encore Games of Thrones, succès planétaire, qui bien que classé en Fantasy, se déroule dans un cadre singulièrement médiéval. Et puis bien sûr, pour nous Français, il y a Les Rois Maudits. Je veux parler ici de l’adaptation de l’œuvre de Maurice Druon par Claude Barma en 1972. Grâce à la qualité de ses acteurs, de ses costumes, de sa mise en scène, de sa musique aussi, et en dépit de son parfum légèrement suranné, la série continue de fasciner. Et c’est compter sans les innombrables adaptations cinématographiques de romans tels qu’Ivanhoé, le comte de Monte Cristo ou Les Trois Mousquetaires, dont la toute dernière en date en 2023 (nous en reparlerons prochainement). Même l’émission Secrets d’Histoire prend soin d’illustrer les récits de Stéphane Bern au moyen d’un semblant de reconstitution historique, preuve qu’il demeure essentiel, quand on raconte, de mettre en scène.

Les romans historiques nous grandissent

 

Or on l’oublie trop souvent, mais la fiction historique ne se limite pas au roman. Songeons un instant à Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand ou au fameux Cid de Corneille, deux formidables pièces de théâtre situées dans des époques lointaines : la France du XVIIe siècle pour le premier, l’Espagne du XIe pour le second. Non seulement elles continuent d’être jouées et étudiées, mais elles ont permis d’atteindre des sommets de cinéma. Pourquoi ? Parce que leurs intrigues sont intemporelles. Elles évoquent ce qu’il y a de plus beau et de plus noble dans la nature humaine. En exaltant les valeurs de sacrifice et de désintéressement, elles tirent vers le haut à la fois leurs héros et ceux qui les découvrent. Il en va de même dans les romans. Ainsi dans Ivanhoé, la belle Rebecca préfère mourir par amour sur le bûcher plutôt que de céder aux avances et aux promesses de richesse du chevalier templier Brian de Bois-Guibert. Dans Les Trois Mousquetaires, Portos, Athos, Aramis et d’Artagnan traitent l’argent avec dédain et n’hésitent pas une seconde à tout abandonner dès lors que l’un d’entre eux se trouve en danger. « C’est moralement que j’ai mes élégances… Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise, empanaché d’indépendance et de franchise », dit Cyrano de Bergerac. Cette tirade-là, nos mousquetaires auraient pu, eux aussi, la prononcer.

À une époque où l’argent semble souvent régner en maître, ne s’agit-il pas de valeurs qui mériteraient d’être largement partagées ?

Xavier Leloup