Trois Mousquetaires : trop Western et pas assez cape et d’épée

Dans quelques semaines sortira Milady, le deuxième volet de la nouvelle adaptation au cinéma des Trois mousquetaires. Rien qu’à l’idée du siège de la Rochelle, on en salive déjà. Pour autant, le premier volet avait-il convaincu ? Pour ma part, D’Artagnan m’avait laissé un goût d’inachevé. En voici les raisons.

La première qualité de ces Trois Mousquetaires est sans doute d’exister. Car contrairement à ce qu’il a parfois été dit, cela faisait bien longtemps que des cinéastes français ne se s’étaient pas attaqués à la plus célèbre des œuvres d’Alexandre Dumas. Quand Hollywood l’adapte régulièrement, le dernier film français date des années 60, avec un Jean Carmet incarnant Planchet et Mylène Demongeot dans le rôle de Milady. C’est donc peu dire que, depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Il y a surtout belle lurette qu’on ne fait plus lire ce roman d’aventures à l’école, et à écouter les interviews des acteurs au moment de la promotion du film, on sent bien qu’eux-mêmes ne l’ont découvert que pour les besoins de leurs rôles.

Bref, faire revivre ces héros légendaires en 2023 était une très bonne idée. Pour cela, le réalisateur a vu les choses en grand : 72 millions d’euros de budget, une distribution alléchante et deux films entièrement tournés en décors naturels. Outre le Louvre, le spectateur pérégrine ainsi dans des châteaux, des forteresses, des palais, des églises… autant dire la France dans ce qu’elle a de plus historique, de plus illustre et de plus beau.

Vive le Roy !

Un autre grand mérite de ce film est de faire revivre la monarchie française. Normal, me direz-vous, s’agissant d’une intrigue se déroulant au XVIe siècle. Mais là encore, cela commençait à nous manquer ! Il y a d’abord le retour des fleurs de lys sur l’affiche du film. Il y aussi cette fidélité au roi de France, ressort fondamental de nos héros. Il y a enfin Louis XIII lui-même, qui apparaît sous les traits de l’acteur Louis Garrel. Celui-ci incarne un roi élégant et glacial mais ambigu, à la fois pleinement conscient de son rang et peu sûr de lui. Il forme du même coup un excellent couple avec sa partenaire Vicky Krieps, alias Anne d’Autriche, dont la retenue, la distinction et la grâce naturelle correspondent parfaitement à ce qu’était la reine de France.  Hélas, le Richelieu du film n’est pas la hauteur. Eric Ruf campe un cardinal pataud, à la voix trop grave, constamment tendu et pour tout dire, sinistre. Tout le contraire du véritable Richelieu, personnage à la fois mondain et secret, raffiné mais surtout impitoyable, grand symbole vivant de cette raison d’Etat ne reculant devant aucun moyen, même les plus vils, pour parvenir à ses fins.  Pour le coup, Vincent Cassel (Athos dans le film) aurait sans doute été bien mieux taillé pour le rôle.

Mais venons-en à présent au cœur du sujet : les mousquetaires du roi !

 

Ils ont tué Porthos

Même s’il lui arrive de parler trop vite, François Civil fait un bon d’Artagnan. Il virevolte et se démène en tous lieux, en cela fidèle au plus célèbre des cadets de Gascogne. À ses côtés, difficile de résister au charme de Constance Bonacieux. Le jeu de Lyna Khoudri sonne d’autant plus vrai qu’il est naturel, si bien qu’à aucun moment, on a l’impression qu’elle se force. Ce premier amour de d’Artagnan, c’est comme un vent de fraîcheur sur le film. Passons sur Aramis et Athos, que Romain Duris et Vincent Cassel incarnent chacun avec beaucoup de style, voire, pour le premier, avec ce brin de panache qui manque tant au film. Non, le vrai problème, c’est Porthos. Que les scénaristes aient choisi d’en faire bisexuel (mais pour quelle raison, si ce n’est vouloir coller à l’air du temps ?) est une chose, mais qu’il ait été privé de son immense appétit, de son goût pour le bon vin et les mets fins, de sa carrure, voilà qui constitue une trahison. Porthos, c’est Rabelais, c’est la gastronomie, c’est le bien manger et le bien vivre, c’est la coquetterie, c’est la France. C’est Dumas aussi, grand amateur de bonne chère devant l’Eternel et auteur d’un Dictionnaire de la cuisine. C’est enfin un moyen d’équilibrer le récit. Comme les personnages des valets (totalement absents du film), Porthos permet au lecteur d’échapper un instant aux intrigues de cour pour se divertir l’esprit avec des sujets plus légers. Avec lui, on respire et on rit. Rien de tel ici. Le pauvre Pio Marmaï joue un Portos à la fois crasseux et insipide, réduit au rang de simple rôle de faire-valoir. Résultat, le film perd en insouciance ce que l’amitié de nos héros perd en crédibilité.

On aurait pu passer sur cette lacune si, au fond, celle-ci n’était révélatrice d’un problème plus général : celui de rester constamment dans un entre-deux entre le film de cape et d’épée et le western, entre histoire de France et modernité. « Western », c’est d’ailleurs le mot que les acteurs avaient constamment sur les lèvres pour décrire le film. Le pauvre Dumas doit se retourner dans sa tombe !  Vendre un film de cape et d’épée comme un western, cela constitue pour moi un cas de dissonance cognitive. C’est un peu comme se rendre dans un restaurant gastronomique français pour s’entendre dire par le serveur que la tête de veau ou le filet de bœuf Richelieu ont été cuisinés à la manière d’un hamburger ! Ce qu’on cherche en allant voir Les Trois Mousquetaires, c’est de la grandeur, du bon mot, du panache, de la générosité, de l’éclat. Bref, un certain esprit français. Pas un film à la couleur sépia et où tout respire la crasse, faisant ainsi passer nos mousquetaires pour des cowboys tout droit sortis d’Il était une fois dans l’Ouest.

L’espoir Milady

Eva Green parviendra-t-elle à redresser la barre ? En la choisissant pour incarner la méchante du film, le réalisateur a eu la bonne intuition. Naturellement mi-ange, mi-démon, la plus anglaise de nos actrices françaises est Milady de Winter. Pour preuve, la merveilleuse manière qu’elle a de jouer la scène du bal face à un duc de Buckingham qu’elle cherche à séduire, usant pour ce faire de ses authentiques talents de polyglotte. Mais paradoxalement, son talent peut aussi se retourner contre elle. Ainsi en est-il lorsqu’elle donne la réplique au cardinal de Richelieu dont le jeu empesé, par un curieux effet de contamination, la force à exagérer inutilement son rôle de méchante en tirant sur sa voix ; bref, à surjouer.

Avec les réalisateurs français, c’est donc toujours un peu le même sentiment qui domine. Au départ, de louables intentions. Et puis, petit à petit, subrepticement dirais-je, cette tendance à vouloir faire ami-ami avec les standards anglo-saxons du moment. Ce qui aboutit toujours à « jouer petit bras » et trahir l’esprit général de l’œuvre. Entre d’autres termes, à se banaliser. Avec son Cyrano de Bergerac, au contraire, Jean-Paul Rappeneau n’avait pas commis cette erreur. Grâce à un texte respecté à la lettre et une manière à la fois théâtrale et spectaculaire de filmer le XVIIe siècle, il connut un vrai succès populaire. Aussi à Martin Bourboulou comme à tous les réalisateurs de sa génération, on serait tenté de dire, pour reprendre la fameuse phrase d’Oscar Wilde : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris ».

Xavier Leloup