« La France et les États-Unis s’opposent, se boudent ou se brouillent mais ne divorcent pas.»
Crise des tarifs douaniers, stratégie face à la Russie, frappes aériennes en Iran… Il ne s’écoule pas une semaine sans que la France et les États-Unis marquent leurs différences sur les grands sujets internationaux. Et ceci n’est pas nouveau. Stève Sainlaude, spécialiste des relations franco-américaines et auteur de LA FRANCE FACE AUX ÉTATS-UNIS, UNE TRADITION D’OPPOSITION, revient pour nous sur les origines de cette relation à caractère parfois très passionnel.
Comment en êtes-vous arrivé à rédiger cet essai historique retraçant plus de deux siècles d’histoire diplomatique entre la France et les États-Unis ? Quelle en a été la genèse ?
Stève Sainlaude : J’ai rédigé une thèse qui traitait des relations franco-américaines sur près d’un tiers du XIXe siècle et abordait un certain nombre de questions diplomatiques qui demandaient à être révélées, complétées ou approfondies. Originellement mon travail couvrait la monarchie de Juillet et la Seconde République, mais sur les conseils de René Rémond j’ai déplacé les bornes jusqu’en 1867, c’est-à-dire jusqu’à la fin de toutes les ingérences françaises en Amérique du Nord. Au vu de ma problématique, j’ai considéré qu’il était judicieux de dépasser les limites de ce travail et j’ai progressivement étendu les frontières de cette exploration jusqu’à nos jours. Cette nouvelle perspective offrait un avantage : celui d’écrire un livre autour d’une thématique déroulée sur un temps long.
Votre ouvrage fourmille d’informations. Par quels moyens êtes-vous parvenu à les rassembler ?
S.S : J’ai réalisé un travail à partir des archives ou de la presse, auquel est venu s’ajouter une synthèse classique des données existantes (en français, en anglais, en espagnol ou en allemand).
Certaines de vos découvertes vous ont-elles surpris ?
S.S : La difficulté d’accoler la critique des États-Unis à une tendance politique m’a intrigué. Depuis les origines de cette relation, l’opposition aux États-Unis traverse toutes les époques et intéresse tous les partis. La gauche et la droite – à fortiori lorsqu’elles tombent dans la radicalité – ont, à un moment ou un autre de l’histoire, réprouvé la politique impériale des États-Unis. La perméabilité entre la politique intérieure et la politique extérieure française est ainsi palpable.
Quels sont les chefs d’État français qui ont le plus profondément marqué cette relation ?
S.S : Pour n’en citer que quelque uns, Guizot s’effraie du développement des États-Unis. Il manifeste son inquiétude face à ce bouleversement considérable induit par l’accroissement de plus de 6 millions de km2 à partir du territoire originel qui était celui des 13 colonies. Napoléon III, de son côté, rejoint Guizot lorsqu’il perçoit l’enjeu géopolitique posé par l’irruption d’une nouvelle puissance dans le Nouveau Monde. Il utilise entre autres son projet mexicain pour endiguer l’expansion américaine qu’il voit s’étendre jusqu’en Amérique centrale. Évidemment, au XXe siècle, le « moment de Gaulle » restaure cette posture d’opposition avec ses prises de position multiples dénonçant l’hégémonie des États-Unis. Mais, comme une imprescriptibilité idéologique, les principes du fondateur de la Ve République vont lui survivre.
Quelles sont les constantes de la relation entre Paris et Washington ?
S.S : Il y a une constante qui constitue le sujet du livre : dès l’origine de leurs relations, la France tente régulièrement de s’opposer aux États-Unis. Elle l’a d’abord fait en tentant d’endiguer leur expansion (au XIXe siècle le souvenir de la Nouvelle-France explique pour beaucoup l’intérêt que porte la France pour cette partie du monde), puis en contestant leurs entreprises lorsque celles-ci s’appuyaient sur leur suprématie, une suprématie qui s’est renforcée progressivement au siècle dernier. Cela en devient un paradigme.
La France face aux États-Unis « tord-il le cou » à certains clichés ou a priori que le Français d’aujourd’hui pourrait avoir sur les relations franco-américaines ?
S.S : L’amitié franco-américaine ne doit pas nous égarer pour définir les comportements politiques. Certes, ce n’est pas une formule creuse : la reconnaissance de la France pour les interventions américaines durant les deux Guerres mondiales n’est pas feinte. Personne n’oublie l’effort consenti par les États-Unis pour libérer le territoire, mais cette gratitude ne bride pas pour autant la parole de leur assisté. La politique étrangère n’est pas une affaire de sentiments mais d’intérêts. L’amitié ne comporte aucune automaticité politique. Elle ne débouche pas sur une mansuétude instinctive qui conférerait un blanc-seing à l’Amérique.
Selon vous, de quelle manière votre livre éclaire-t-il les relations actuelles entre nos deux pays ?
S.S : L’amplitude de l’étude permet de prendre du recul et aide à ne pas surdimensionner certains épisodes pour en tirer une conclusion générale. Cet essai relativise les frictions qui peuvent survenir et même les crises sérieuses qui secouent de temps à autres les relations entre les deux pays. La France et les États-Unis restent deux alliés quelle que soit l’époque. Ce sont deux nations qui s’opposent, se boudent ou se brouillent mais ne divorcent pas.