Pourquoi Rob Roy est le meilleur roman de Walter Scott

Dans Rob Roy, Walter Scott ne se contente pas de construire le mythe du Robin des Bois écossais. Avec Diana Vernon, il dresse également le portrait d’une femme aux manières libres et au charme piquant, qui du point de vue de la modernité, n’a rien à envier à la célèbre madame Bovary. Si bien que lorsque Stevenson qualifie le livre de « meilleur roman » de Walter Scott, on ne peut que lui donner raison.

Rob Roy est une œuvre surprenante. Son titre semble présager un récit aux multiples péripéties, un roman d’aventure dans lequel les scènes de bataille succèdent aux duels à l’épée, aux fuites à cheval, aux amours au clair de lune. Rob Roy évoque ainsi, dans l’esprit du grand public, une sorte de Robin des Bois écossais. Ceci est d’autant plus compréhensible que la dernière adaptation hollywoodienne du roman – sortie en 1995, avec Liam Neeson dans le rôle-titre –, s’écartant de manière assez impressionnante du Rob Roy original, nous raconte l’histoire d’un chef de clan écossais en butte à l’avidité d’un lord anglais épaulé par un cruel maître d’armes.

En réalité, le Rob Roy de Walter Scott est bien plus qu’un roman d’aventure.

Certes, « le magicien du Nord » nous offre ici un grand divertissement. Des batailles, du combat, des équipées nocturnes, des complots, de savoureux personnages secondaires ponctuent une lecture qui se prolonge par un voyage dans les Highlands d’Écosse. Mais il ne s’agit là que d’un aspect de son œuvre. Car Rob Roy, c’est aussi l’histoire d’amour entre, d’un côté, Franck Osbaldistone, un jeune Anglais résolu à embrasser une carrière d’hommes de lettres au mépris des projets de son père, et de l’autre, Diana Vernon, une mystérieuse jeune femme aux sympathies jacobites.

Rédigé à la première personne, Rob Roy constitue avant tout un récit personnel, intimiste, dans lequel Scott semble se livrer bien davantage que dans aucune autre de ses œuvres. Car comment ne pas voir l’auteur en la personne de Frank Osbaldistone, qui, confiant ses souvenirs à son ami Tresham, semble directement s’adresser aux lecteurs que nous sommes ? Comment encore ne pas voir Scott, qui débuta comme avocat avant de se consacrer à l’écriture, dans ce jeune homme qui préfère renoncer à la carrière de commerçant qui s’offre à lui pour assouvir ses ambitions littéraires ? À cause de ce différend, Frank est donc envoyé dans le nord de l’Angleterre pour aider son père à choisir celui de ses cousins le mieux à même de lui succéder à la tête de l’affaire familiale.

Et c’est là que toute l’histoire commence.

 

Une ambiance inquiétante

L’une des grandes forces du roman tient d’abord à son ambiance. L’ambiance inquiétante d’Osbaldistone-Hall, ce château aux « murs tapissés de peaux de blaireaux, de loutres, de fouines », avec ses «  vieux tableaux enfumés suspendus de distance en distance, représentant des dames et des chevaliers », ses vieilles armures, ses cachettes et ses passages secrets, mais surtout, avec son immense bibliothèque. C’est là le fief de la famille Osbaldistone. En plus de sir Hildebrand, son noble patriarche, celle-ci compte six garçons au physique « lourd et raboteux » dont l’ambition semble vouloir se limiter à devenir les premiers chasseurs du comté. À l’exception toutefois du dernier rejeton, un certain Rashleigh. Si contrairement à ses frères, il dispose de l’aisance et la politesse d’un homme du monde, sa démarche boiteuse, ses yeux noirs et animés, ses sourcils épais, son air de malice et de dissimulation vont immédiatement inspirer à notre héros « un sentiment de curiosité pénible, mêlée de dégoût et de haine. » C’est dire si la tâche de Frank semble malaisée. Il se trouvera toutefois une alliée inattendue en la personne de Diana Vernon, la nièce de sir Hildebrand. Fort de son franc-parler et de sa vive intelligence, de sa finesse d’esprit, de son extrême beauté, la jeune femme ne va pas tarder à séduire notre héros. Mais hélas, à son grand désespoir, lorsqu’il découvrira que Diana est destinée à entrer dans les ordres… à moins qu’elle accepte d’épouser Thorncliff, le fils aîné des Osbaldistone.

Diana Vernon, comme un petit air d’Emma Peel…

Aussi, si le roman s’appelle Rob Roy, Walter Scott aurait pu tout aussi bien l’intituler Diana Vernon. Car au fond, c’est surtout cette « Diane Chasseresse » qui, dès les premiers instants de leur rencontre, fera l’objet de l’obsession du narrateur : « C’était une jeune personne dont la figure pleine de grâce et d’expression était animée par l’ardeur de la chasse. Elle montait un superbe cheval noir de jais, et tacheté par l’écume qui jaillissait du mors ; elle portait un costume alors peu commun, semblable à celui de l’autre sexe, et qu’on a depuis appelé costume d’équitation ou d’amazone…. Ses longs cheveux noirs flottaient au gré du vent, ayant, dans le feu de la chasse, brisé le lien qui les tenait prisonniers. »  Puis, un peu plus loin : « Elle me jeta sa bride comme si nous nous connaissions depuis l’enfance, sauta à bas de cheval, traversa la cour en courant et entra par une petite porte latérale, me laissant dans l’admiration de sa beauté et dans l’étonnement de ses manières franches et ouvertes… »

Et lorsque quelques centaines de pages plus loin, Frank se fait surprendre en pleine nuit par deux cavaliers au milieu de la campagne écossaise, quelle n’est pas sa surprise – et la nôtre – de retrouver parmi eux une Diana Vernon n’ayant rien perdu de son piquant : « M. Francis Osbaldistone ne devrait pas siffler ses airs favoris quand il ne désire pas être reconnu. » Puis lorsque Frank de s’exclamer : « Juste ciel !… est-il possible que ce soit vous, miss Vernon, que je rencontre dans un tel pays, à une telle heure, et sous un tel ?… », c’est avec un grand sens de l’à-propos que la jeune femme s’empresse d’achever sa phrase : « Sous un déguisement masculin, alliez-vous dire… »

Dans cette scène comme dans toutes les autres, Diana semble toujours conserver un temps d’avance sur le jeune homme. De telle sorte que si l’on croit deviner la nature de ses sentiments pour lui, l’amazone n’a pas pour autant l’intention de lui dévoiler son jeu. Mieux, elle entend toujours garder l’initiative. Et c’est sans nul doute sur ce point, qu’avec Diana Vernon, Walter Scott crée un personnage féminin atypique, presque dominateur, et de ce fait, résolument moderne. Avec son ironie et son art de l’équivoque, Diana a même des faux airs de la célèbre Emma Peel de Chapeau melon et bottes de cuir.

On ne le dira jamais assez : l’œuvre de Walter Scott est peuplée de grands personnages féminins. De la juive Rébecca (Ivanhoé) à la princesse Édith de Plantagenêt (Le Talisman) en passant par la révolutionnaire jacobite Flora Mac-Ivor (Waverley), Scott aime à les doter d’une force de caractère qui n’a d’égal que leur beauté. Diana Vernon ne fait pas exception à la règle. Elle occupe même, au sein de ce panthéon féminin, la position la plus éminente entre toutes.

Pour autant, Diana n’est pas ici la seule héroïne. Il y a aussi le personnage d’Hélène Campbell, l’épouse de Rob Roy, une femme-chef de bande à laquelle Scott réserve un rôle essentiel. Avec ses « traits farouches », son teint enflammé, le désordre de ses cheveux, les taches de sang « qu’on voyait sur ses mains », la toque rouge surmontée d’une plume qui formait sa coiffure, cette écossaise ne semble craindre rien ni personne. Pas les représailles anglaises, en tout cas. Sous le regard médusé de Frank, « madame Rob Roy » n’hésite pas à faire exécuter un prisonnier de guerre en ordonnant à deux de ses Highlanders de le précipiter pieds et poings liés au fond d’un lac, une grosse pierre attachée au cou. Cette scène, indéniablement, est la plus violente du roman, si ce n’est la plus choquante. Par comparaison, le personnage de Rob Roy, bien que rusé, courageux et fort adroit dans le métier des armes, apparaît plus sage, plus mesuré. Pacifique, presque.

Alors justement, me direz-vous, qu’en est-il du rôle tenu par le célèbre hors-la-loi dans le roman qui porte son nom ?

Rob Roy, un Robin des Bois insaississable

ROB ROY, Liam Neeson, 1995

Rassurez-vous, Walter Scott ne l’a pas oublié. Seulement, il nous dévoile le héros écossais par petites touches, nous donnant à voir les différentes facettes de sa personnalité au fur et à mesure que nous progressons dans l’histoire, laissant sa légende le précéder comme pour mieux susciter notre désir de faire sa connaissance. Comme dans de nombreux romans de Scott (Ivanhoé, Le Talisman, Quentin Durward), le personnage central apparaît masqué. Ici, c’est d’abord sous les traits d’un certain Robert Campbell, marchand de bestiaux de son état, qu’il apparaît. Lequel, avec le concours de Diana, va sauver Frank Osbaldistone d’un complot judiciaire ourdi par le perfide Rashleigh. Il n’en demeure pas moins que le chef du clan MacGregor constitue une sorte de figure évanescente, insaisissable, et dont la légende joue un rôle au moins aussi important que le personnage lui-même. D’une certaine manière, Rob Roy hante davantage le livre qu’il ne l’habite.

Notons enfin que l’histoire de la révolte jacobite tient dans Rob Roy une place moins importante que dans Waverley. Il ne s’agit ici que d’un cadre dramatique, un contexte politique et social n’ayant d’autre vocation que d’ancrer le récit en ce début du XVIIIe siècle tumultueux. Mais, au fond, on en apprend assez peu de choses. Ce faisant, Rob Roy constitue une œuvre moins historique que romanesque. Et si le héros voyagera au cœur des Highlands d’Écosse, ses habitants seront évoqués de manière bien plus rapide que dans Waverley.

In fine, la seule vraie question qui taraude le lecteur est de savoir si Frank parviendra à s’unir à Diana en dépit des nombreux obstacles qui semblent vouloir se dresser sur leur chemin. Et c’est ce que Walter Scott, en immense romancier qu’il est, nous dévoilera à la toute dernière page de son œuvre.

Xavier Leloup

Rob Roy, Walter Scott, Éditions La Ravinière, 13 €.