Ivanhoé : exploits chevaleresques et amours impossibles au temps de Richard Coeur-de-Lion

Classique d’Hollywood, Ivanhoé évoque aux yeux du grand public l’âge d’or des tournois de chevalerie. Mais la richesse du roman dont il s’inspire, en réalité, dépasse largement les limites de la lice. Action, humour, intrigues amoureuses ou politiques, le chef d’œuvre de Walter Scott fait revivre le Moyen Âge dans toute sa richesse et sa beauté. Et, pour ces raisons, mérite d’être redécouvert tels ces grands crus trop longtemps oubliés.

 

 

 

Nous sommes au XIIe siècle, dans une Angleterre sous domination normande. Le cruel et perfide prince Jean dirige le royaume des Plantagenêts d’Anjou en lieu et place de son frère, le roi Richard Cœur-de-Lion, parti pour les croisades. Mais face aux envahisseurs venus d’Outre-Manche, tout le monde ne s’avoue pas vaincu. Cédric le Saxon rêve de restaurer l’ancienne dynastie saxonne d’avant la conquête en mariant sa pupille Rowena, descendante des anciens rois du pays, avec son ami Athelstane de Coningsburgh, d’ascendance royale lui aussi. C’est ce moment que choisissent trois hommes pour revenir de Palestine : le chevalier d’Ivanhoé, ce fils que Cédric a répudié en raison de ses amitiés normandes, son ennemi templier Brian de Bois-Guilbert, mais aussi le roi Richard Cœur-de-Lion qui, tel Ulysse, a décidé de faire un retour sous déguisement pour mieux reprendre en mains le royaume que convoite son frère…

Et Scott redonna vie aux tournois de chevalerie

La passe d'armes d'Ashby

La passe d’armes d’Ashby constitue le point culminant de la première partie du roman

Ivanhoé, c’est d’abord un formidable récit d’action. Des scènes de tournoi spectaculaires, des sièges de châteaux, des descriptions colorées et vivantes, un suspense haletant, des dialogues truculents et imagés. Walter Scott ne décrit pas les tournois du Moyen Âge. Il fait bien mieux que cela : il leur redonne vie en faisant entrer le lecteur dans la lice pour le placer au cœur de l’action, au milieu des acclamations de la foule : « Dès que les trompettes eurent donné le signal, les deux combattants s’élancèrent l’un contre l’autre avec la rapidité de l’éclair et ils se rencontrèrent au milieu de l’arène avec un bruit semblable à celui du tonnerre. Leurs lances furent brisées en éclats jusqu’à la garde, et on les crut renversés tous les deux, car la violence du choc avait fait plier leurs chevaux sur les jarrets, et leur chute ne fut prévenue que par l’adresse avec laquelle ils surent l’un et l’autre se servir de la bride et de l’éperon. Ils se regardèrent un instant avec des yeux qui semblaient lancer le feu à travers leurs visières et, chacun faisant une demi-volte, ils se retirèrent aux extrémités de l’enceinte et reçurent une nouvelle lance des mains de leur écuyer. »  Chez aucun autre auteur, sans doute, n’ont aussi bien été retranscrites l’intensité et la violence des combats auxquels se livraient les chevaliers lors de leurs fameux tournois et autres passes d’armes. « Mêlée », « atteinte », « à outrance », « tenant » ou « en croupe » font d’ailleurs partie de ces expressions dont on apprend qu’elles trouvent leur origine dans le vocabulaire des tournois et que Walter Scott prend soin de faire apparaître en Français dans sa version originale. Car le Français, dans l’Angleterre d’alors, représente la langue de ces envahisseurs cuirassés ayant amené avec eux l’art de la joute.

 

Rébecca, véritable héroïne du roman

Rébecca, alias Elisabeth Taylor

Rébecca, alias Elisabeth Taylor, face au chevalier templier Brian de Bois-Guilbert

Mais Walter Scott ne nous offre pas seulement de l’action, loin s’en faut. En bon romantique, c’est aussi un formidable peintre de la complexité des sentiments amoureux. Dans Ivanhoé, nous avons droit à un quatuor : Brian aime Rebecca qui aime Ivanhoé qui aime Rowena. Dit autrement, le chevalier templier Brian de Bois-Guibert brûle d’amour pour la juive Rebecca, elle-même secrètement éprise d’Ivanhoé, qui rêve d’épouser la princesse Rowena… sans pour autant être totalement insensible aux charmes de sa discrète admiratrice. Et si les fils de l’amour n’étaient pas déjà suffisamment entremêlés, ajoutons que Maurice de Bracy, l’un des lieutenants du prince Jean, veut également prendre Rowena pour épouse. Bref, chacun y va de son amour et de son désir en même temps que de ses ambitions.

Or ce que Scott parvient ici à décrire avec le plus grand talent, c’est la montée progressive de l’amour dans le cœur du vil Brian de Bois-Guibert, le « méchant » du roman. Et de là, son terrible conflit intérieur : d’un côté son ambition personnelle et ses calculs politiques qui doivent le conduire à la tête de l’ordre du Temple, de l’autre, cette jeune juive au charme irrésistible, symbole du fruit défendu. Si Rébecca n’avait été qu’une beauté, nul doute que le dilemme aurait été aisément résolu. Mais Rébecca est à la fois fière et intelligente, résistant à notre sombre personnage avec une force de caractère qui le subjugue. Si bien qu’à mesure qu’elle se dérobe à lui, l’attraction du templier devient peu à peu irrésistible. Et c’est là, sans doute, que réside le principal intérêt du roman pour le lecteur d’aujourd’hui : nous transporter dans une époque a priori éloignée de nous, mais dont les personnages obéissent à une psychologie qui demeure la nôtre. Avec Rébecca, Scott a sans doute créé l’une ses plus belles héroïnes qu’on puisse imaginer.  Aussi courageuse que noble de cœur, elle préfère mourir sur le bûcher auquel la condamne le grand maître de l’ordre du Temple plutôt que de céder à Bois-Guilbert et trahir son amour pourtant impossible avec un chevalier chrétien.

Le retour du roi

Le prince Jean, frère de Richar Coeur-de-Lion

« Prenez garde à vous, car le diable est déchaîné » : Le prince Jean redoute plus que tout le retour de son frère Richard Coeur-de-Lion en Angleterre

Déjà fort riche, Ivanhoé bénéficie en outre de la présence de deux légendes du monde médiéval : le roi Richard Cœur-de-Lion et Robin de Bois.

Le premier constitue l’archétype du roi chevalier, piètre politique mais fabuleux combattant qui s’en retourne des croisades pour reconquérir son royaume en se faisant passer pour un chevalier errant dont la véritable identité se révèle au fur et à mesure du roman. Si sa personnalité n’est pas aussi développée que dans Le Talisman, le roi d’Angleterre n’en demeure pas moins l’un des principaux protagonistes du récit, à la fois subtil et tête-brûlée, à la fois grand monarque et noceur invétéré. S’il ne fallait retenir qu’une seule scène de lui, c’est assurément celle de sa confrontation improbable avec un frère Tuck déguisé en ermite cherchant tous les prétextes pour lui refuser l’hospitalité avant de devenir son compagnon de beuverie.

Le second, Robin des Bois, intervient en arrière-plan mais saura joindre ses forces à celle de Richard-Cœur-de-Lion à l’un des moments les plus décisifs de l’histoire, à la manière de ces super-héros de Marvel unissant leurs forces quand l’heure est la plus grave. Car Ivanhoé, au fond, c’est aussi cela : la réunion des plus grandes légendes médiévales en un seul et même roman, un condensé de ce que le Moyen Âge peut offrir de plus grandiose.

Ajoutons, enfin, qu’ici, les méchants ne le sont pas qu’à moitié. Qu’il s’agisse du prince Jean, de ses barons normands, ou de certains membres de l’ordre du Temple, ce sont tous des êtres impitoyables, vils, cupides et d’une ineffable cruauté. Pour preuve, cette fameuse scène d’interrogatoire durant laquelle le normand Front-de-Bœuf emmène le vieil Isaac York dans les soubassements de son château pour lui extorquer son argent à grands renforts de menaces plus horribles les unes que les autres. Qu’on se rassure toutefois : la justice est sauve. Et pour terribles qu’ils soient, tous ces personnages recevront un châtiment à la hauteur de leurs méfaits.

Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’Ivanhoé ait connu dès sa sortie un succès gigantesque qui se répandit en peu de temps dans toute Europe. Walter Scott se retrouve ainsi en bonne place dans la bibliothèque de Lucien de Rubempré, le célèbre héros des Illusions perdues de Balzac. Quant au grand Alexandre Dumas, le père des Trois Mousquetaires, il décida même d’en assurer lui-même la traduction. Une version particulièrement savoureuse que vous pourrez découvrir ici : https://laraviniere.fr/produit/ivanhoe/

Car le meilleur moyen d’apprécier ce grand roman historique, c’est encore de le lire dans son intégralité !

Ivanhoé, de Walter Scott, traduit par Alexandre Dumas. Éditions La Ravinière. 22,9 € (grand format, 600 pages).