Quentin Durward : dans la tête de Louis XI

Derrière ce célèbre roman d’aventures signé Walter Scott se cache un savoureux portrait du roi Louis XI, l’un des plus intrigants et des plus sagaces souverains que la France ait jamais connu. Et qui, malgré tout son cynisme et sa duplicité, parvient à s’attacher les faveurs du lecteur à mesure que l’auteur nous en fait partager l’intimité.

 

 

 

Jusqu’à un passé récent, Quentin Durward faisait figure de grand classique.

En 1955, c’est Richard Thorpe qui le porta sur grand écran avec Robert Taylor dans le rôle-titre, dans le sillage du succès d’Ivanhoé, un autre classique de Walter Scott qui avait permis au réalisateur américain de connaître le succès quelques années auparavant.

Puis en 1971, une série télévisée vit le jour en France, qui fit la joie des spectateurs de l’ORTF en même temps que des admirateurs de Jacqueline Boyer, l’interprète de son célèbre générique.

Mais ces succès populaires furent sans lendemain. Et depuis, c’était comme si ce formidable récit d’aventures situé au XVe siècle sur fond de rivalité entre le royaume de France et le duché de Bourgogne était tombé dans l’oubli.

Et pourtant, quel roman ! Quels dialogues ! Quelle intrigue et quel humour ! Et surtout, quel roi !

Ce Quentin Durward constitue l’une des pépites que recèle la littérature historique, le genre de livre qu’il faudrait faire lire dans tous les écoles pour qui souhaiterait redonner le goût de l’Histoire à nos chers écoliers accrochés aux écrans de leurs téléphones portables.

Mais pourquoi me direz-vous, alors que « Quentin Durward » sonne si anglo-saxon et que son auteur nous arrive tout droit des hauts plateaux d’Écosse ?

Parce que le titre du roman, figurez-vous, est quelque peu trompeur.

Quentin Durward, au service de Sa Majesté

Certes, Walter Scott nous y retrace bien l’épopée d’un jeune archer écossais du nom de Quentin Durward débarquant en Touraine.

Certes, ce sont bien à travers ses yeux que nous découvrons la France de cette fin du XVe siècle sur laquelle règne un monarque méfiant, rusé, superstitieux et terriblement avare – j’ai nommé Louis XI – qui préfère s’habiller en bourgeois autant par modestie que pour dissimuler sa véritable identité à ses interlocuteurs. Et de fait, l’une des scènes d’ouvertures du roman met en scène un roi de France qui, sous les traits d’un mystérieux « maître Pierre », s’ingénie à faire parler notre naïf héros en lui offrant le plus fabuleux déjeuner auquel il ait jamais goûté.

Certes, c’est bien Quentin qui brûle d’amour pour l’inaccessible Isabelle de Croye, cette comtesse bourguignonne venue se réfugier à la cour de France en compagnie de sa tutrice la comtesse Hemeline.

Il n’y a donc pas tromperie sur la marchandise : le titre du roman désigne le jeune premier que le lecteur suit pas à pas et dont il attend le triomphe.

Sauf qu’en réalité, derrière ce Quentin Durward se dresse la silhouette d’un personnage tout aussi important et plus complexe, bien plus français aussi, et dont la finesse psychologique lui confère un indéniable charisme.

Et ce héros, ou plutôt cet anti-héros, c’est le roi Louis XI.

 

Louis XI, un méchant somptueux

Scott nous brosse ici le portrait d’un monarque tour à tour séducteur, méfiant, cynique, superstitieux et surtout, terriblement manipulateur.

Et à cette fin, l’auteur ne néglige aucun détail.

Louis XI, c’est d’abord le château de Plessis-les-Tours, « château remarquable par les précautions jalouses qu’on prenait pour en rendre l’accès difficile », et auquel un chapitre entier est consacré. Avec ses « triples fossés garnis de palissades de fer », ses hauts murs, ses innombrables tourelles, sa herse baissée et son pont-levis levé ainsi que ses pièges, trappes, fosses et embûches de toutes sortes menaçant de mort quiconque oserait s’en approcher, l’édifice ne saurait mieux traduire le caractère profondément méfiant de son propriétaire.

C’est ensuite une garde rapprochée, constituée des bourreaux Petit-André et Trois Échelles, de leur maître et grand prévôt Tristan l’Ermite, du barbier Olivier le Daim, confident du roi et exécuteur de ses basses œuvres, et enfin de Galeotti Marti, cet astrologue en lequel ce grand superstitieux place une confiance absolue.

Ce sont, enfin, des machinations politiques. Dans l’histoire qui nous occupe, Louis veut offrir en mariage l’innocente comtesse de Croye au Sanglier des Ardennes, un brigand de la pire espèce qui aime à se vêtir d’une peau de sanglier et, en la compagnie de ses ruffians, se rend formidable tant au duc de Bourgogne qu’à son allié l’évêque de Liège. Pour le roi de France, il s’agit d’anoblir son agent provocateur et partant, de « planter une épine dans le flanc » de Charles le Téméraire. Stratagème pour lequel le jeune Quentin lui est utile, car c’est justement d’un jeune et naïf chevalier dont Louis XI a besoin pour escorter les deux femmes jusqu’à Liège et les confier aux soins de son évêque… avant que fameux  sanglier des Ardennes ne leur tombe dessus sans crier gare.

On le voit, ce Louis XI n’est pas exactement un « enfant de chœur ».

Or en dépit de son absence de scrupules et de son indifférence à toute forme de pitié, de son machiavélisme, le lecteur finit par s’attacher à ce sombre monarque.

Et c’est bien là le tour de force accompli par Walter Scott que de parvenir à nous faire aimer un personnage qui ne recule devant aucun moyen, même les plus vils, pour asseoir ses ambitions. « Calme, artificieux, attentif avant tout à son intérêt personnel, il savait sacrifier tout orgueil, toute passion qui pouvaient le compromettre. Il avait grand soin de déguiser ses sentiments et ses vues à tout ce qui l’approchait, et on l’entendit répéter souvent que le roi qui ne savait pas dissimuler ne savait pas régner ; et que, quant à lui, s’il croyait que son bonnet connût ses secrets, il le jetterait au feu », nous avertit d’ailleurs l’auteur dès les premières pages.

Prisonnier du Téméraire

Ce Louis XI-là était aussi un homme d’esprit. Amateur de bons mots et doté d’un humour ravageur, voir scabreux, il se révèle par moment extraordinairement spirituel. Tel est le cas, par exemple, lors d’une partie de chasse, lorsque sachant le cardinal de la Balue piètre cavalier, le roi s’amuse à exciter le cheval de son ambitieux ministre tout en feignant de vouloir s’entretenir avec lui des plus hautes affaires du royaume.

Notre monarque est également doté d’un sang-froid à toute épreuve qui le voit conserver la maîtrise de lui-même en toutes circonstances, mêmes les plus dangereuses. Tant et si bien que lorsqu’il se retrouve prisonnier du duc de Bourgogne et semble condamné à une mort certaine, on se surprend à souhaiter que Louis XI trouve le moyen de sauver sa vie et démêler les fils de la toile qu’il a lui-même tissée.

Ajoutons que dans un Moyen Âge finissant, son mépris du protocole et des valeurs chevaleresques annoncent l’ère moderne et permettent ainsi de créer un rapport de connivence avec le lecteur du XXIe siècle.

C’est pourquoi il était devenu urgent d’offrir une nouvelle jeunesse à un roman qui plonge le lecteur dans une époque médiévale, certes, fort éloignée de la nôtre, mais dont les intrigues politiques et les coups bas ne sont pas sans rappeler les fameux « coups de billard à trois bandes » qu’affectionnent tant nos politiques d’aujourd’hui.

Et si l’on juge de la qualité d’un livre à la réussite de son personnage de méchant, alors Quentin Durward doit être assurément qualifié de chef d’œuvre.

Quentin Durward, de Walter Scott. Éditions La Ravinière. 13 € (version poche, 636 pages) ou 15,9 € (grand format, 408 pages).