Le Talisman, ce roman de croisade qui réconcilie Orient et Occident
Moins connu qu’Ivanhoé ou Quentin Durward, Le Talisman n’en constitue pas moins l’un des meilleurs romans de Walter Scott. C’est la Palestine du XIIe siècle qui en constitue le théâtre, où Croisés et Sarrasins se font face dans l’attente d’un éventuel assaut de l’armée chrétienne sur Jérusalem.
« Alors que le soleil torride de Syrie n’avait pas encore atteint son apogée, un chevalier à la croix écarlate, qui avait quitté sa lointaine patrie septentrionale pour rejoindre l’armée des croisés en Palestine, parcourait lentement le désert de sable qui s’étend aux alentours de la mer Morte, ou, comme on le nomme, du lac Asphaltite, où les vagues du Jourdain se déversent en une mer intérieure dont les eaux ne s’écoulent nulle part ». Ainsi commence Le Talisman, l’un des plus fascinants romans de croisade jamais écrits. Après nous avoir raconté la manière dont Richard Cœur-de-Lion réussit à reprendre son royaume dans Ivanhoé, Walter Scott revient ici sur les aventures du roi d’Angleterre qui ont précédé son retour triomphal, lorsqu’il se trouvait en terre de Palestine.
Nous nous trouvons à quelques encablures de Saint-Jean-d’Acre, où les Croisés ont dressé le camp. La victorieuse marche du roi Richard jusqu’à Jérusalem est entravée par la maladie et les jalousies des princes chrétiens qui, excités par le grand maître de l’ordre du Temple, lui reprochent son caractère impétueux et ne cherchent qu’à se retirer d’une entreprise jugée trop hasardeuse. Contexte de grandes dissensions intérieures, donc, qui autorise chacun à faire preuve de la plus grande perfidie. Le roi d’Angleterre peut heureusement compter sur Kenneth, le chevalier au léopard, auquel il confie une mission diplomatique auprès d’un mystérieux ermite. Le périple que le chevalier doit entreprendre dans le désert le mettra aux prises avec deux éminents personnages : Edith Plantagenêt, la propre cousine du roi dont il s’est épris, mais aussi le sultan kurde Saladin, adversaire de Cœur de lion, contre lequel Kenneth devra rapidement croiser le fer…
Comme bien des histoires se déroulant au Levant, ce roman a quelque chose d’envoûtant. Le désert de sable, son soleil aveuglant, les Sarassins enturbannés, les chaleurs torrides et les rosées glaciales, les bosquets de palmiers… tout respire ici l’Orient.
Un audacieux projet d’alliance politique
Mais là où Le Talisman surprendra, c’est lorsqu’il met au jour un audacieux projet politique : celui d’un mariage entre le Sultan Saladin et Edith Plantagenêt, la propre cousine du roi Richard Cœur-de-Lion. Son but : sceller la paix entre Chrétiens et Musulmans. Leur hymen aura-t-il bien lieu ? Laissons au lecteur le plaisir d’en faire la découverte. Mais que cette idée ait pu germer dans l’esprit d’un auteur du début du XIXe siècle comme Walter Scott voir, mieux, qu’elle ait quelque fondement historique, nous montre que par le passé, le fossé séparant Orient et Occident n’était peut-être pas aussi grand qu’on ne le dit aujourd’hui.
A tel enseigne que tout au long du roman, Scott s’attache à placer sur un pied d’égalité les deux belligérants. Deux scènes, à cet égard, sont particulièrement évocatrices. La première est celle qui, dès les premières pages, voit le combat opposant un chevalier au léopard puissamment cuirassé à son homologue Sarassin, un agile et léger cavalier, avant que les deux adversaires ne finissent par renoncer à se combattre et chevauchent côte à côte. La seconde est la démonstration de force à laquelle se livrent successivement Richard Cœur-de-Lion et Saladin, le courbe et étroit cimeterre du souverain musulman répondant à l’immense glaive du roi chrétien. Dans les deux cas, c’est le match nul. Pour Scott, c’est donc comme si Chrétiens et Musulmans, incapables de se neutraliser, étaient condamnés à la co-existence. Tout le roman se déroule d’ailleurs durant une période de trêve, qui voit les deux bélligérants multiplier les marques d’influence et de respect mutuels.
Si tension il y a, c’est bien plutôt au sein de l’armée chrétienne qu’elle apparaît. Car dans le Talisman, le véritable ennemi est intérieur.
La division des Chrétiens
Parmi les Croisés, c’est la division qui règne. D’abord au sein des Britanniques, où Anglais et Ecossais se jalousent et se surveillent, ensuite entre Anglais et Français, dont le roi Philippe Auguste, en bon politique, préfère laisser à Cœur-de-Lion la conduite des opérations militaires tandis qu’il cherche tous les prétextes pour retirer ses troupes et rentrer à Paris. Aussi, hormis le roi d’Angleterre, personne ne semble réellement se soucier de la libération du Saint Sépulcre. Qu’il s’agisse du grand-duc d’Autriche, des Italiens, des Templiers ou des Hospitaliers, chacun à ses raisons pour trahir son serment et éviter l’affrontement avec les adorateurs de Mahomet. Au sein de ce nid de guêpes, deux figures plus particulièrement machiavéliques se détachent. Ce sont le marquis Conrad de Montferrad et le grand maître de l’ordre du Temple, Gilles Amauy, deux âmes damnées qui vont organiser le vol de la bannière d’Angleterre afin de semer la discorde au sein des princes chrétiens.
Bref, chez les Européens, les coups bas, les intrigues et les calculs politiques des uns répondent à la pieuse ferveur et la vaillance des autres. Ce qui, somme toute, semble constituer une peinture assez réaliste de ce que fut la grande aventure des croisades.
Pour l’amour de Coeur-de-Lion
In fine, l’intrigue du Talisman s’articule autour de trois hommes : l’écossais Kenneth, le sultan Saladin, mais aussi et surtout, le roi Richard Cœur-de-Lion.
Comme pour Louis XI dans Quentin Durward, c’est avec talent et un art consommé du dialogue que Walter Scott faire revivre le roi d’Angleterre. Tour à tour impétueux et royal, courageux et arrogant, raffiné et brutal, le fils préféré d’Aliénor d’Aquitaine est un personnage haut en couleurs qui semble incarner à lui seul tout l’esprit de la chevalerie, si ce n’est toute une époque.
Dans Ivanhoé, Richard Cœur-de-Lion nous était dépeint comme un roi-chevalier, plein de vaillance mais volontiers tête brûlée, capable de mettre son royaume en péril pour le seul plaisir de se bagarrer dans une taverne ou de libérer un château aux côtés d’une bande de hors-la-loi. Dans le Talisman, ses accents sont plus dramatiques. S’il se montre volontiers impulsif, le monarque anglais n’en a pas moins conscience de son rang et, en bien des occasions, de conduit en chef politique autant qu’en incomparable meneur d’hommes, sachant gagner le cœur de ses soldats en s’appuyant sur son charisme ou son incomparable éloquence.
Par contraste, Saladin semble bien plus mesuré. Maître du déguisement, il plane sur l’ensemble du roman sous les traits d’un personnage ou bien d’un autre, se faisant progressivement le meilleur allié de Kenneth, le chevalier écossais, qu’il aidera à laver son honneur et conquérir le coeur de sa promise. C’est un personnage plein de finesse et d’esprit, symbole même de la sagesse orientale, dont le respect pour Cœur-de-Lion le conduira à défendre le roi d’Angleterre contre ses ennemis et lui sauver la vie.
Un récit palpitant
Un art consommé du dialogue, de l’émotion, des répliques cinglantes, des descriptions à la fois imagées et vivantes : Walter Scott fait de nouveau ici l’étalage de tous son talent de romancier. Des retournements de situation, le lecteur s’en voit offrir à presque chaque chapitre, preuve que les auteurs d’antan avaient l’imagination fertile et s’y connaissaient dans l’art de divertir.
Pour qui voudrait s’en convaincre, il suffira de revoir le film de Ridley Scott, Kingdom of Heaven. Vous y découvrirez ainsi, à la fin du film, quelques étranges similitudes avec le dénouement du Talisman … Preuve que même à deux siècles de distance, mais bien sûr sans le dire, les réalisateurs contemporains n’hésitent pas à s’inspirer des grands auteurs classiques pour boucler le scénario de leurs films.