Waverley : À la gloire des Highlanders
Avec Waverley, Walter Scott nous fait un double récit : d’un côté, celui de la dernière tentative de faire remonter la dynastie écossaise des Stuarts sur le trône d’Angleterre, de l’autre, celui de la quête amoureuse d’un jeune homme à l’esprit romanesque dont le cœur oscille entre deux femmes en même temps qu’entre deux nations. Le tout dans le cadre des sublimes Highlands écossais, dont la peinture donne au roman toute sa saveur.
Pourquoi lire Waverley ? D’abord parce que ce livre est considéré comme le premier roman historique de l’histoire de la littérature. Signé Walter Scott, l’auteur des célèbres Ivanhoé et Quentin Durward, Waverley offre au lecteur un passionnant voyage dans le temps en nous transportant dans la Grande-Bretagne de 1745. En Angleterre, les Hanovre règnent. Mais la dynastie concurrente des Stuarts, écartée du pouvoir au siècle précédent, ambitionne de les renverser. Celle-ci peut s’appuyer sur le soutien des Highlanders écossais, qui voient là l’occasion de contester le pouvoir hégémonique de Londres. Le chef de la maison Stuart est alors le prince Charles-Édouard, tout juste débarqué de France pour rassembler ses troupes. Ce que nous raconte Waverley, c’est donc l’histoire de l’ultime insurrection jacobite (du nom du « Vieux Prétendant » Jacques II Stuart) contre l’Angleterre. Le récit d’un raout d’honneur, en quelque sorte, dans la mesure où après l’échec de leurs tentatives de 1692, 1708 et 1715, et sans le concours direct de la France, ses partisans ne sont pas vraiment en mesure de vaincre la puissante armée anglaise.
Scott se sert ici du contexte d’une guerre civile pour explorer des thèmes tels que l’amour, l’amitié, la quête de soi, la loyauté, mais surtout pour nous parler de l’Écosse, cette terre natale à laquelle il consacrera plusieurs romans qu’on appellera justement les Waverley novels.
Un triangle amoureux

Flora MacDonald est connue pour avoir aidé le prince Charles-Édouard à échapper aux troupes anglaises suite à sa défaite à la bataille de Culloden en avril 1746. Difficile de ne pas faire le rapprochement avec le personnage de Flora Mac-Ivor, l’héroïne jacobite dont Édouard Waverley s’éprend dans le roman éponyme de Walter Scott.
Waverley est d’abord l’histoire d’une quête amoureuse. Celle d’Édouard Waverley, jeune homme au caractère romanesque et rêveur, indécis, voire inconstant, dont les sentiments tant amoureux que politiques ne cessent d’osciller d’un côté puis de l’autre. Parti de l’Écosse, c’est-à-dire des Stuarts, ou bien celui de l’Angleterre, et donc des Hanovre ? Flora Mac-Ivor, la reine de beauté capricieuse et inaccessible, tout entière dévouée à la cause jacobite, ou bien Rose Bradwardine, la femme sage et aimante, gage de sécurité domestique ? « Vous ne passez pas pour très habile à démêler vos propres sentiments », lui fait d’ailleurs remarquer son ami Fergus Mac-Ivor. À cet égard, l’un des points de bascule du roman s’opère lors la lecture que ses acteurs font de Roméo et Juliette. Par la voix de ses personnages, Scott dresse alors un parallèle entre le drame de Shakespeare et l’histoire qu’il tente de nous conter. Rosalinde, c’est donc Flora. Rose, c’est donc Juliette. « Comme il était impossible que l’amour de Roméo, en le supposant un homme raisonnable, pût durer sans espérance, le poète, avec une habileté merveilleuse, a choisi le moment où il est réduit au désespoir pour offrir à ses regards un objet plus accompli que celui dont il vient d’essuyer les refus, et qui est disposé à mieux répondre à sa tendresse », déclare Flora à la petite cour du château d’Holyrood, comme pour mieux pousser son prétendant dans les bras de l’ingénue Rose Bradwardine. La belle écossaise semble ainsi vouloir se montrer plus lucide, plus clairvoyante, plus sage que son amant. Sa passion à elle, c’est la cause des Stuarts. Un sentiment qui confine à la dévotion, et qui de par sa nature même, s’oppose à toute forme de bonheur conjugal. Se sachant incapable de rendre heureux Édouard, Flora s’efforce donc de détourner vers une autre le flot de sa passion amoureuse. Pour autant, celui-ci renoncera-t-il à la séduire ? Et Flora, de son côté, est-elle bien sûre de ses propres sentiments ? C’est ce que le lecteur découvrira au fil des aventures du jeune Anglais.
Ce faisant, Waverley constitue un merveilleux récit d’introspection psychologique, un roman sentimental qui sonne le départ du mouvement romantique. Bien des auteurs européens, au même moment ou par la suite, y feront leur contribution. On pensera ici entre autres à Jane Austen, qui dans son célèbre Orgueil et préjugés, explorera elle aussi le thème du triangle amoureux au travers des hésitations d’Elizabeth Bennett entre le séduisant Wickham et le distant Mister Darcy.
Mais Scott ne fait pas que dans le sentimental. La lecture de son roman nous fait également plonger dans l’univers fascinant des Highlands écossais au moment même où ceux-ci luttent pour leur survie. Or dans Waverley, c’est le personnage du frère de Flora, Fergus Mac-Ivor, qui en constitue la plus parfaite incarnation.
Fergus MacIvor, l’âme des Highlands

Walter Scott met tout son talent littéraire au service de la peinture d’une région chère à son coeur, celle des Highlands écossaises
Contrairement à Édouard, Fergus sait ce qu’il veut : reconquérir le trône d’Angleterre au nom des Stuarts et de son héritier, le Chevalier Charles-Édouard. Avec l’ambition plus ou moins avouée, au passage, de se couvrir de richesse et de gloire. Davantage encore que l’héritier des Stuarts ou que l’excentrique comte de Bradwardine, Fergus Mac-Ivor symbolise l’âme de la révolte écossaise, l’âme des Highlands. Tout entier « feu et audace », d’humeur à la fois « orgueilleuse, vindicative et turbulente », aussi entier qu’attachant, il ne s’embarrasse guère de manières et offre un contraste saisissant avec le romanesque mais somme toute raisonnable Waverley. S’agissant des femmes, il enjoint d’ailleurs à son ami de les « traiter en mousquetaire ». Aussi, malgré ses travers, malgré sa fougue et son caractère à la fois calculateur et emporté, le lecteur succombe peu à peu à son charme si écossais.
Grâce à lui, nous découvrons un pays encore fort sauvage, avec ses Highlands, ses Lowlands, ses clans, son code d’honneur, ses brigands, ses citadelles réculées, ses tartans, ses claymores (grandes épées), ses cavernes, ses lacs, ses torrents et même ses fantômes, à l’image du fameux « Bodach Glas » dont les apparitions nocturnes inspirent la plus grande terreur à ses habitants. « Le chant des Highlands » et « La marche » constituent sans doute, à cet égard, les deux chapitres les plus évocateurs du roman. Scott y parvient, au moyen de son style si imagé, à nous faire ressentir ce que fut l’Écosse de la première partie du XVIIIe siècle. On comprend alors mieux pourquoi l’auteur gagna de son vivant une immense popularité auprès de ses compatriotes et vit un monument érigé en son honneur dans les jardins de la Princes Street à Édimbourg.
On l’aura compris, Fergus est le personnage qui donne au roman tout son relief. Son destin, son charme, ses excès sont précisément ceux de cette Écosse qu’il entend défendre. Cette nation « d’avant l’insurrection de 1745 et la destruction du pouvoir patriarcal des chefs montagnards, de l’abolition de la juridiction féodale de la noblesse et des barons dans les basses terres », d’avant « la destruction complète du parti jacobite ». En un mot, celle qui, « éprouvant de la répugnance à se confondre avec les Anglais et à adopter leurs coutumes, continua longtemps à rester fidèle avec affectation aux usages écossais », comme le conclut Walter Scott à la fin de son oeuvre.
Une Écosse pour laquelle le jeune Édouard Waverley, autant par amour pour Flora Mac-Ivor que par amitié pour son frère Fergus, choisira de prendre les armes. Or rien que pour cela, le Highlander méritait bien de figurer sur la couverture de notre nouvelle édition de Waverley.
Xavier Leloup
Waverley, Walter Scott, Éditions La Ravinière, 13 €.